Dette 2020 L’État français sous perfusion

Graphe dette

“Morts-vivants de la dette”

Voici l’expression qu’ont utilisé depuis 2017 deux économistes influents, Danny Lang et Steve Keen, pour décrire plusieurs grands pays occidentaux, dont la France.

La dette est devenue notre plus gros problème. C’est même la pierre angulaire pour comprendre l’avenir de vos placements.

Qu’on parle d’épargner, d’obtenir des rendements, de cycles économiques, de l’évolution des impôts, tout ramène à la dette. Notre système entier est bâti sur une pyramide de dettes qui menace désormais de s’effondrer.

2020, l’année où la France est devenue un pays surendetté

D’abord c’est la dynamique qui est importante. Vous l’avez peut-être vu, la courbe de la dette est exponentielle. Cela se produit quand chaque nouvelle action renforce la précédente.

Chaque année depuis 50 ans, les gouvernants français rajoutent de la dette plutôt que de rembourser.

Le gouvernement a-t-il pris les choses en main ?

La période 2011-2019 pourrait laisser croire que l’Etat a pris sa dette en main, avec un léger ralentissement.

Mais pas du tout ! On le voit bien sur une période plus resserrée :

Dette publique France

La courbe bleue montre la dette publique en valeur absolue, et elle a continué à exploser après la crise 2008-2010.

Si nos politiques ont réussi à manier les chiffres pour garder le ratio DETTE/PIB à 99%, c’est grâce à deux effets qui n’ont rien à voir avec des efforts de l’Etat :

  1. C’est dû à la croissance correcte du PIB français de 2014 à 2019 (la dette s’exprimant en ratio du PIB) ;
  2. Et c’est dû à l’incroyable baisse des taux d’intérêt par la BCE sous 1% puis 0% ! La dette devient donc gratuite à assumer, pour l’instant.


A quel niveau de surrendettement notre épargne est-elle menacée ?

Lorsque l’Eurogroupe a sauvé Chypre en 2013 (dernier sauvetage en date), il a voulu “ramener la dette du pays à un niveau durable” au prix d’efforts violents, comme la ponction des comptes courants. Ils parlaient alors d’un niveau de… 100% du PIB.

100% du PIB, c’est le repère communément admis pour qu’une dette reste soutenable, à la fois par les économistes et les gouvernants. Tout cela est très empirique.

On observe qu’au-dessus de ce ratio de 100%, un pays perd le contrôle, et sa capacité à rembourser librement sa dette.

  • Au-delà de 100%, l’Etat emprunte encore plus, juste pour payer ses intérêts: il devient difficile, voire impossible d’assumer les intérêts de sa dette.
  • Le coût de la dette rend trop difficile la mise en place des réformes nécessaires, dans une situation politique normale. Seul un acteur externe comme le FMI peut intervenir pour imposer des mesures drastiques pour la survie du pays, sans quoi le gouvernement se trouve impuissant face à sa propre population.
  • Le pays devient dépendant d’acteurs externes pour fonctionner, et se plie à leur confiance aveugle : agence de notations, banques privées, banques centrales, marchés financiers… Autant de gens qui lui volent sa souveraineté.

Malgré les taux négatifs qui favorisent immensément les endettés, la France a maintenant dépassé ce cap des 100% et pourrait vite se rapprocher de pays comme l’Italie, la Grèce, le Soudan ou le Japon….

Le paiement de la dette est de loin le 1er poste du budget de l’Etat français, loin devant l’Education nationale, qui est elle-même loin devant le budget de la Défense.

C’est pourquoi le président Macron passe la plupart de son temps à “faire de la pub”, faire des courbettes pour rassurer ses créanciers, sans quoi ceux-ci ne voudront pas remettre au pot et nous courrons immédiatement à la faillite.

2008 : le tournant raté de la responsabilité

Après avoir renfloué les banques jusque 2010, et malgré des années de croissance, l’Etat français a continué de laisser augmenter la dette publique sans rien faire. Pourtant, il pouvait encore agir ! La dette approchait des 80%, avec une dynamique à inverser d’urgence !

L’Allemagne a pris le taureau par les cornes, grâce à Angela Merkel.

L’Allemagne a eu la même situation de dette à gérer depuis les années 2000. Et a dû mettre au pot pour sauver le système européen jusqu’en 2010. Mais Angela Merkel a fortement réagi après 2010. Des réformes de fond ont été lancées lors des années de croissance pour réduire la dette à un niveau maîtrisable.

Et ça a marché ! L’Allemagne s’est largement éloignée de la limite des 100%.

Dette admin publiques

Avec ce graphique sous les yeux, vous comprenez aussi pourquoi l’Allemagne, si proactive dans la construction européenne, s’est fermement opposée depuis 2016 à soutenir tout autre pays européen en faillite.

Merkel
Angela Merkel a profité de ses ré-élections pour travailler à fond sur la dette allemande,
contrairement à ses voisins européens

Situation tendue au sommet de l’Europe

Angela Merkel a connu l’épisode grec, et elle en a marre de faire payer ses concitoyens pour les faillites des autres. D’autant plus qu’elle doit déjà subir les taux d’intérêt négatifs de la BCE, qui sont là uniquement pour sauver ses voisins européens.

Après tous ces efforts réalisés pendant vingt ans sur la dette, Angela Merkel et les banquiers allemands ont poussé les premiers pour que les Etats en faillite aient un droit de prélever massivement les comptes-courants et livrets d’épargne des citoyens ordinaires.

Les Allemands ne veulent pas être le dindon de la farce et payer pour les erreurs des pays latins !

Cela crée de nouveau une Europe à deux vitesses, vous l’observez depuis 2016.

En France au contraire, nos gouvernants ont décidé d’en profiter jusqu’à la dernière goutte. Ils ont choisi de maintenir la dette artificiellement à 99% du PIB pendant le plus longtemps possible, en faisant pression sur la BCE pour qu’elle rende l’argent gratuit.

Ils ont joué l’effet du seuil psychologique de 100%, en se disant qu’en restant dessous ils éviteraient les GROS problèmes.

Dette admin. publiques 2

“Pas de chance !” vous diront-ils, à cause de la crise du Covid, la dette française va exploser bien au-delà des 100%, pour entrer en zone incontrôlable.

Je rappelle que la crise de 2008 a causé une hausse immédiate de 15 points du niveau de dette. Et encore, c’était juste pour sauver quelques banques, avec l’aide de la FED américaine, et sans plan de sauvetage de l’économie.

Alors imaginez de combien la dette va monter avec les conséquences du Corona-Krach et d’une récession prolongée…

Soyons clairs ce n’est pas la « faute à pas de chance ». Tout le monde savait bien qu’après la plus longue période de croissance de l’histoire moderne (2008-2019) une crise allait survenir.

Suite du Krach 2020 : La fuite en avant devient incontrôlable

Plusieurs d’entre vous m’ont demandé pourquoi les Etats se permettent de dépenser aussi massivement suite au Krach sanitaire de début 2020, sachant qu’ils ont déjà du mal à payer les intérêts de leur dette.

C’est une excellente question !

La réponse est qu’il n’y a pas le choix. La première utilité de la dette, depuis des siècles, est de soutenir la population pendant les crises. C’est le seul moment où vous verrez un consensus national pour s’endetter, et soutenir les plus faibles.

Certes cela fait des années que nos politiques ont mal géré et trop profité de la dette. Mais là, en 2020, il est normal d’agir massivement !

On envoie de l’argent aux entreprises vertueuses, de l’argent aux entreprises mal gérées.

De l’argent pour l’écologie, de l’argent pour les entreprises liées au pétrole ou l’aviation.

De l’argent pour les génies. De l’argent pour les idiots.

De l’argent pour les gens qui travaillent. De l’argent pour ceux qui ne travaillent pas.

Pour éviter la chute du pays, on redistribue l’argent sans se poser de question, donc notamment en faveur des entreprises et des grandes banques mal gérées, qui ne survivent pas à cette période de difficulté.

C’est assez improductif, mais c’est obligatoire.

La dette va monter à 120, peut-être 130% très rapidement, pour soutenir les acteurs les moins solides.

Il faut le faire.

C’est avant qu’il aurait fallu agir. La machine est désormais en surchauffe sans qu’on puisse l’arrêter, en attendant l’explosion.

Que proposent nos gouvernants face à l’explosion de la dette ?

Réaction n°1 : Ils ont choisi l’omerta

Leur première priorité, comme vous l’avez vu au début du Coronavirus, est d’éviter la panique.

Et le résultat est là : personne en France n’est au courant que nous serons dans quelques mois aussi endettés que la Grèce, sans retour en arrière possible, à risquer de perdre toute couverture sociale, tout pouvoir d’achat, et de se faire racheter le pays par les Chinois.

La dette est devenue le plus gros tabou de notre pays.

Depuis François Bayrou, un peu seul dans son coin à l’élection présidentielle de 2007, aucun homme politique n’a posé le sujet de la dette publique sur la table. Au contraire, ils ont décidé l’omerta, ceci en accord total avec les instances européennes comme je vous l’avais montré dans une précédente lettre.

“Le déluge arrivera après nous !” Voilà sans doute ce que nos dirigeants se disent.

Réaction n°2 : Toute la responsabilité de notre faillite rejetée sur la banque centrale

Joli cadeau empoisonné pour la BCE ! Face aux crises de la dette des pays européens, la seule stratégie est de mettre le taux de l’argent de plus en plus bas, et d’injecter des centaines de milliards d’euros pour racheter les dettes des Etats.

Ils appellent ça des “plans de sauvetage”. J’appelle ça la “Fuite en avant vers une encore plus grosse crise”. Car en attendant les problèmes dans l’économie réelle s’intensifient, la population ne se prépare pas, et la dette grossit encore plus en valeur absolue… 

Pour les anglophones, je vous conseille l’excellent article de l’ancien Chief Economist de la FED et professeur à Harvard K. Rogoff *. Il est un peu technique mais a le mérite de bien expliquer comment certains responsables politiques et économiques veulent inciter encore plus à l’endettement dans les mois qui viennent. Leur argument principal étant qu’à court-terme il faut assurer le paiement des dettes pour éviter l’aggravation.

Certes, sauf qu’en Europe ce n’est pas si simple…

La France et les Etats européens surendettés font pression pour que la BCE continue à baisser ses taux d’intérêt.

Dans le même temps, le principal pilier européen, l’Allemagne, se fâche. Le peuple allemand ne comprend pas pourquoi il devrait payer pour les bêtises des autres – et on le comprend. Ils ne veulent pas subir à nouveau le remède de crise, alors que leur économie est saine et sans aucun risque !

A cause de la dette, l’Union Européenne ne cache plus ses dissidences internes.

Précisions historiques sur la France, et la réforme de 1973 qui a tout changé.

Surendettement, comment en est-on arrivés là ? Pour amener une perspective historique, il y a une chose qu’on ne rappelle jamais, c’est qu’au départ la dette était une véritable bénédiction.

La joyeuse découverte des années 50

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le monde avait besoin d’un gros boost pour relancer une dynamique économique. C’est le moment où sous l’impulsion des Etats-Unis devenus tout puissants, le capitalisme “total” à l’américaine a commencé, en favorisant au maximum la prise de risque.

Cela n’a pas épargné les Etats, qui ont eu l’idée de commencer à s’endetter en dehors du temps de guerre.

Jusque-là, il avait toujours paru logique que l’Etat contrôle bien ses finances, sauf en temps de guerre ou de grosse crise, où il pouvait alors s’endetter pour affronter la période. L’Etat lançait alors des emprunts souscrits par sa population, qui lui faisait une confiance totale. Ensuite la période d’accalmie suivante servait à rembourser les dettes.

Une nouvelle idée géniale est apparue : un gouvernement peut dépenser plus qu’il n’a, si c’est pour améliorer durablement la vie de sa population.

Il n’y a rien de mauvais dans cette idée. C’est bien le but de l’Etat de créer les conditions de long-terme pour que sa population prospère.

C’était aussi la grande idée de Keynes, économiste le plus influent à cette période, selon laquelle l’investissement initial de l’Etat est (théoriquement) le meilleur moyen de relancer la croissance.

Cela a très bien fonctionné dans les années 1960, avec une période dorée où l’endettement maîtrisé permettait de gros investissements d’infrastructures, utiles et prospères : autoroutes, voies ferrées, barrages, centrales électriques puis nucléaires. Le territoire s’est développé beaucoup plus vite qu’auparavant, grâce à l’utilisation de la dette.

Mais la partie « remboursement » a été mystérieusement oubliée. Par défaut on a supposé que la dette serait remboursée plus tard “grâce à la croissance supplémentaire créée par ces dépenses”.

Années 80 : le gâteau est si bon qu’il devient addictif

Il y a malheureusement eu très peu de théorie sur le sujet de la dette publique, en particulier sur son contrôle et ses excès. On constate que les économistes préfèrent se concentrer sur ce qui est positif comme la croissance et les cycles.

Sans théorie, nos gouvernants se sont transformés en véritables apprentis-sorciers.

Un peu comme les élus locaux qui construisent un énorme stade ou une médiathèque inutile pour dorer leur image, les gouvernements ont vite considéré que la dette était de “l’argent gratuit”, à géométrie variable pour servir leurs intérêts politiques.

Par exemple l’Etat s’est habitué à lancer de grands projets coûteux à chaque nouveau gouvernement, à engager toujours plus de fonctionnaires, et à utiliser l’argent public pour satisfaire tout groupe de pression qui viendrait quémander. Les limites de bonne gestion ont sauté année après année.

Pompidou : L’erreur qui a peut-être tout changé

L’erreur la plus énorme aura été de céder la gestion des dettes publiques et de la monnaie aux banques privées – c’est à dire des acteurs qui n’ont aucun lien avec l’intérêt public.

En France c’est sous la présidence de M. Pompidou (ex-directeur général de la banque Rothschild, faut-il le préciser), que s’est effectué ce dangereux transfert, véritable jackpot sans condition offert aux banques privées dans une période où il fallait réagir face à l’inflation galopante.

Le graphique suivant montre l’effet en France de cette décision, c’est à dire notre niveau de dette publique (en rouge), face au poids de la dette si M. Pompidou avait laissé la main à la Banque de France (en bleu).

Dette avec intérêts

Le cumul des intérêts payés par l’Etat aux banques privées depuis cette réforme est estimé à plus de 1 500 000 000 000 € = 1 500 milliards d’euros.

Autant dire qu’avec cette seule réforme de 1973, nous offrons chaque année aux banquiers privés tout l’argent qui va mettre la France en faillite dans les années qui viennent…


SOURCES :
Article de Kenneth Rogoff

Sources

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